Sip
Le titre de la pièce que tu montres à Assemblage#4 m’a interpellé, pourquoi tu l’as appelée Slapstick?
EE
L’idée c’était d’avoir un titre qui fasse écho au ton de la pièce, en faisant référence à un genre humoristique bien défini, basé sur une forme de violence burlesque. C’est le même humour qu’on retrouve dans les cartoons, dans lesquels les personnages animés subissent des agressions et des déformations perpétuelles. Dans Slapstick , j’ai voulu transposer ce type de narration sur une série de volumes, qui incarnent les états successifs d’un personnage quasiment abstrait. C’est l’histoire d’une forme qui s’en prend plein la gueule et qui finit par s’échapper du cadre du récit.
Sip
Donc le titre fait référence à ce genre et dans la pièce on peux suivre les péripéties du personnage en appliquant les codes du genre.
EE
Oui, le titre donne une clé de lecture pour comprendre cette pièce comme un récit, une succession d’actions qui composent une narration. L’installation peut être perçue comme abstraite, mais elle a une portée narrative, elle montre l’évolution d’une forme dans le temps.
Sip
Ce temps se construit en suivant le sens de lecture habituel de la bande dessinée, on peux suivre son mouvement dans le sens de lecture occidental et quand le personnage s’échappe il le fait par l’angle en bas à droite…
EE
Effectivement, j’ai construit l’installation comme un double strip de bande dessinée, une séquence de cases en deux bandes horizontales. L’enjeu est de se demander jusqu’à quel point le spectateur peux devenir lecteur pendant qu’il regarde la pièce. Savoir si on peut réussir ce pari…
Sip
On perçoit que tu as un pari à faire par rapport à la bande dessinée, une posture un peu militante.
EE
Mon travail est en partie motivé par un sentiment de manque face à certaines tentatives visant à faire rentrer la bande dessinée dans les musées, et à la place qu’occupe actuellement  la bande dessinée  dans le champs de l’art. Ma posture part d’une envie brouiller les frontières : j’ai la certitude que la bande dessinée peut exister en dehors des formats existants, et en dehors des lieux qu’on a l’habitude de lui associer.
Sip
Tu travailles à partir des codes de la bande dessinée que tu éclates et tu amènes à d’autres formats, soit dans des objets en volume, soit dans l’espace et l’installation, et dans un format numérique. Ceci est une constante à toutes tes pièces?
EE
C’est le cas pour un bon nombre d’elles, la bande dessinée est au centre de ma pratique. Mais j’ai une définition très large de la bande dessinée, qui englobe autant les productions éditoriales que des objets numériques ou installatifs. Ce qui m’intéresse dans mon travail sur la bande dessinée, c’est de partir du langage au lieu de partir du format. Quand je me réfère au langage de la bande dessinée, je parle de sa structure séquentielle, du récit ou de la narration, tandis qu’en prenant le format comme point de départ on se réfère à la page ou au livre. A partir du langage je peux aller où je veux , je me sens libre d’explorer tous les formats.
Sip
Tu cherches une certaine économie de moyens, par exemple pour Carte du ciel tu utilises un nombre restreint de pixels et cette économie définit une esthétique. Dans Slapstick les matériaux sont nus, les couleurs limitées. Pour quelle raison tu fais ce choix d’économie?
EE
J’ai toujours cette envie d’utiliser la forme la plus simple possible, de partir d’une unité fondamentale, comme le pixel, pour ensuite élaborer une composition plus complexe. Pour Slapstick je pars du cercle, de l’arc, de formes élémentaires que j’utilise comme un alphabet, et avec lesquelles je compose un message qui tend à être lisible par n’importe qui, à partir du moment où l’installation est perçue comme lisible.
Sip
Dans tes pièces le spectateur doit faire un travail, dans Slapstick il doit lire cette histoire et dans Carte du ciel tu les invites a un voyage mental, puisque tu le définis comme un mandala. Comment est ton rapport au spectateur que tu veux actif?
EE
Cela se fait un peu à mon insu. Souvent le spectateur doit activer lui même la pièce pour créer un moment d’expérimentation, une situation où il doit se plier à certaines règles du jeu pour accéder à l’expérience que je voudrais lui faire vivre.
Sip
Cette notion de spectateur, dans un acte d’expérience interactive, c’est de l’ordre du jeu vidéo…
Ee
Je parle beaucoup de la bande dessinée mais finalement j’ai beaucoup d’autres influences. Le jeux vidéo m’interpelle énormément et occupe une certaine place dans mon travail. Mes œuvres numériques ou mes installations interactives découlent directement de ce média. Il rend possible une implication directe du spectateur, qui devient partie prenante de l’œuvre.
Sip
A quoi tu travailles en ce moment?
Sip
En ce moment je suis en résidence d’écriture numérique au Chalet Mauriac, organisée par l agence Ecla Aquitaine. Nous sommes deux artistes à travailler sur une bande dessinée numérique avec Johanna Schipper. C’est un projet que nous menons dans le cadre de notre collectif, In Wonder, qui a justement pour vocation de faire le pont entre bande dessinée, art contemporain et numérique en puisant des concepts et des figures dans l’œuvre de Lewis Carroll.

Voici les photos de l’ expo Assemblage #4: http://spaceinprogress.com/works/assemblage-4-anime-animal-anima/

emmanuelespinasse.net