Assemblage #3
Traverser la ville

Glaner des signes au passage, recueillir des images d’instants vécus en communauté, répertorier des moments selon un programme préétabli… Tout cela constitue des démarches possibles pour les artistes présents dans Assemblage#3 qui font de la ville leur terrain d’action.
L’urbain intervient comme un champ d’écoute du minime, de petites choses auxquelles on ne prête pas attention, que l’on considère généralement comme insignifiantes, pour les élever à la qualité de signes. Ainsi, une déambulation programmatique d’actions dans un périmètre choisi relève et transforme les données qui rendent compte de sa vitalité, de l’occupation de l’espace, de ses interdits et ses usages, en se laissant guider par les rencontres autour d’un territoire.

Elodie Brémaud présente SIT-IN. Durant sa résidence au printemps 2014 au Musée Commun à Saint Blaise, Paris 20ème, elle repère les panneaux d’interdiction qui s’affichent dans les espaces régis par les bailleurs sociaux aux pieds des immeubles : «Jeux interdits». Au mois de juillet, elle parcourt les rues du quartier, tous les après-midi selon un circuit préétabli. Elle se déplace avec un siège de camping, ne s’autorisant une halte qu’à la condition de croiser quelqu’un au repos. C’est par conséquent l’usage que les habitants du quartier ont de l’espace public qui conditionne son comportement. Elodie Brémaud répertorie les pauses qu’elle effectue, les lieux où elles se produisent et les postures qu’elle rencontre. Elle consigne ces données dans une affiche de 3x4m collée sur un des panneaux d’affichage du quartier.
«Il y aurait dans la mise en place de pauses, une façon de répondre tacitement à la restriction des espaces de liberté et de jeu, une façon manifeste de désobéir dans la plus grande discrétion». Elodie Brémaud présente les traces de son action sans proclamer des conclusions, avec la seule énonciation de faits.

Sophie Hélejules dessine des moments de rencontre dans le cadre de ses déplacements. Pour elle, la ville est la scène du lien humain qui donne le cadre iconique et identitaire à ces rencontres qui se veulent uniques dans son caractère infime et éphémère. Sophie Hélejules cherche les opportunités de tisser ses liens dans des résidences artistiques ou en acceptant des invitations de communautés qui lui proposent de travailler autour de leur cadre de vie: le suivi de la campagne politique de Daniel Boys à Béthune ou la rencontre avec les vignerons de Lisle-sur-Tarn.
Elle dessine sur des calques à la plume et encre sanguine d’après ses photos. Habituellement, elle compose avec ces dessins des panneaux qui forment une toile de Jouy, pour créer des installations. La fragilité de ces calques, usuellement matière première qui ne se donne pas à voir, souligne l’évanescence des moments partagés. En travaillant sur la disparition du vécu, cette accumulation de traces de chaque instant contribue à la perception d’une profondeur temporelle.

Elisa Strada dit traverser la ville de Buenos Aires «partant à la rencontre de la réalité». Elle récolte et répertorie les signes graphiques qui démontrent la vitalité urbaine. Elle prête attention aux indices d’une culture en lien à la petite économie. Ceux-ci sont présents dans des circuits populaires de vente et de communication, comme les multiples objets vendus dans les kiosques (si courants à Buenos Aires), l’affichage sauvage annonçant les services d’auto-entrepreneurs, les panneaux de vente sur les façades d’immeubles. «Je sors dans la rue pour recueillir et sauver ces trésors visuels  issus de l’abondance graphique urbaine».
Avec la collecte de cartons d’emballage, elle  fait référence au travail de ramassage qu’effectuent les «cartoneros», un des paradigmes de la débrouille pour la survie installé dans la ville depuis la crise de 2001, toujours en vigueur.
En reproduisant ce geste de ramassage comme source de travail, elle veut effectuer un acte de réparation qui donne une possibilité d’existence aux manifestations non répertoriées de la ville.

 

Space in Progress, Octobre 2016