Assemblage #7

Tous les poissons sont pacifistes

Pendant quelques jours, Florencia Rodríguez Giles, Carlos Huffmann et Romain Sein se sont livrés à une expérience : se rencontrer dans le monde des rêves. Pour fixer leur point de rencontre, tous les trois se sont donné un mot de passe: «Fish cannot carry guns» (les poissons ne peuvent pas porter d’armes), une phrase de Philip K Dick. Ainsi que l’écrit l’auteur dans son Exégèse : «il semblerait que nous ayons une mémoire collective, inscrite dans notre ADN (…), chacun de nous possède quelque chose de différent de toutes les autres formes de vie, qui fait qu’un dysfonctionnement intervient pour reconstituer cette mémoire et en extraire les données.»

Les trois artistes ont voulu provoquer ce «dysfonctionnement» par des méthodes hypnogéniques. Celles-ci doivent leur permettre d’accéder au souvenir du rêve et de ramener le vécu de leur pratique, en supposant que leur rencontre dans cette autre dimension soit possible. Tous les trois ont mené cette expérience collective en donnant «priorité aux mouvements des corps et à la recherche de leur point d’intensité». Un espace créatif commun s’est alors trouvé défini: un lieu aux réminiscences de milieu aquatique, où les interactions entre les êtres sont très différentes de celles de l’état de veille. Un espace est ainsi créé où la gravité est perturbée, où les parcours vitaux se croisent sans se toucher. C’est comme le paradoxe d’un espace partagé où les communications entre individus sont presque impossibles. Un lieu de rendez-vous décalés..

Le travail de Florencia Rodríguez Giles se réfère à un univers où le monde propre à chaque espèce ne serait pas fermé en soi-même, où par conséquence, cette rencontre entre réalités différentes serait possible. Les pièces présentées font part du projet  La noche salva  (La nuit sauve). La nuit est perçue comme un champ ouvert où on est sans protection, exposé, vulnérable, où on se méconnaît soit même. Cette fragilité prédispose au salut. Pour ses performances, Rodriguez Giles décide de créer la nuit non pas dans l’espace du spectateur mais dans celui des performers les munissant de masques qui les aveuglent. Ses dessins sont préalables à ses performances. Ils les annoncent et les décrivent avant leur existence.

Romain Sein évoque «les rêves d’été», l’état de rêverie provoqué dans l’esprit par une forte chaleur. Il définit sa vidéo comme «une ritournelle cauchemardesque». Partant d’une boucle d’images tournées au Jardin botanique des cactacées à San Miguel de Allende (Mexico), il recompose de nouvelles séquences grâce à des manipulations numériques. Ce travail minutieux, de retouches par couches successives, s’apparente à une démarche picturale qu’il applique jusqu’à l’épuisement. A travers leur étrangeté, les dessins suscitent une complicité avec le spectateur, placé dans un état hallucinatoire reflétant ses «angoisses estivales». L’espace de fiction est entouré de rochers, de criques, d’objets en gros plan tandis que la trame mécanique est élaborée par omission et collage, jusqu’à ce que surgissent les éléments du songe.

Les œuvres de Carlos Huffmann interrogent la limite entre schéma et dessin, forme et information. L’artiste cherche à effacer les frontières entre les mensonges crédibles et les souvenirs, en donnant le même poids de réalité aux objets d’information objective qu’aux éléments de la mémoire. Il pense le dessin comme un système de codage et voit les objets d’art comme des machines informatiques dotées d’un logiciel particulier. Huffmann a souvent travaillé en brouillant les pistes des provenances des images, en les recomposant dans une optique post-structuraliste selon laquelle un phénomène peut s’étudier dans le contexte du langage dans lequel il s’est construit.

Les trois artistes ont formé pour Assemblage#7 une «communauté onirique»Â  qui partage avec le spectateur leur recherche sur des modalités  alternatives à celle de l’espace tridimensionnel.

 

Space in Progress, septembre 2017

« ESTE PROYECTO CUENTA CON EL APOYO DEL FONDO ARGENTINO DE DESARROLLO CULTURAL Y CREATIVO- MINISTERIO DE CULTURA DE LA NACIÓN »