Assemblage #12

À même la peau

De la même façon que la peau porte les marques de notre histoire, la posture des artistes envers le rendu de la peau, contient l’histoire de l’art. Nous pouvons décortiquer les arguties techniques à partir desquelles la peinture se rêve d’être corps, jouant avec la multiplicité de couches et l’effet de profondeur sous jacente. A partir du moment où on dépèce les éléments constitutifs de la peinture et où la couche picturale se sépare du support, nous pouvons considérer cette matière même comme une peau.

Valentina Dotti s’intéresse à la surface-texture de la peinture (telle que Daniel Arasse, la nomme dans ses écrits sur Soulages). Elle traduit en bas-relief les rythmes provoqués par l’accumulation de touches du pinceau. Par des moulages successifs en latex colorés dans la masse, elle reconstruit une surface souple. Chaque couche a une couleur différente. L’ensemble reconstitue la profondeur de l’incarnat. L’objet fait penser à une dépouille animale, aux bords et contours définis par la mise à plat d’un organisme vivant. Parfois des volumes en céramique ponctuent d’une ossature, cette écorce colorée.

La cinéaste franco-australienne Nicole Lily Rose explore l’idée de beauté et du féminin des médias et de la mode. Dans sa vidéo A classical position, elle travaille sur les poses classiques des sculptures anciennes qui  reflètent  un idéal de beauté. Elle les confronte au corps actuel et à son obsession de la perfection. L’image se promène sur la surface de la pierre en rendant compte des accidents dont nous ne pouvons pas avoir la mémoire. Le rendu de la peau se charge d’informations propres à la matière de la sculpture.

Paola Vega est une peintre consciente de l’histoire de l’art et de la place que les artistes femmes ont été amenées à occuper. Elle utilise l’histoire comme un outil et un support de réflexion sur l’art d’aujourd’hui. Elle constitue des archives d’images et de biographies de femmes artistes. Elle utilise la technique picturale classique des glacis en analogie à la construction d’une peau. Pour cette œuvre, elle a pris comme point de départ deux peintures érotiques de nus féminins. A partir des fragments de ces images, elle fait des citations d’autres images et peint des «remixes». Le tout compose une archive déployée qui se révèle au montage.

Dans la vidéo de Nicole Lily Rose, la pierre des sculptures et son dialogue avec l’image de la peau humaine donnent le pouvoir aux signes qui apparaissent à la surface. Paola Vega assimile la peau à la couche de peinture en la construisant par superpositions successives. Valentina Dotti détache cette couche de son support et lui donne son indépendance en tant qu’objet. Pour ces trois artistes, la peau est donc perçue non seulement comme une interface entre un dehors et un dedans, mais comme un objet autonome à part entière.

Space in Progress, mai 2018